Une nouvelle façon d'agir, même à (très) faible dose
Depuis quelques années, les perturbateurs endocriniens jouent les trouble-fêtes dans le monde des toxicologues qui voient leurs certitudes ébranlées par ces produits décidément spéciaux à bien des égards.
L'un des principes fondateurs de la toxicologie d'aujourd'hui se résume dans une petite phrase énoncée dès le XVIème siècle par un médecin suisse, Philippe Théophraste Paracelse: "c'est la dose qui fait le poison".
En vertu de ce principe, plus la dose d'un produit chimique toxique absorbée est élevée, plus l'effet sur la santé est important, ainsi que la probabilité de voir survenir un effet indésirable.
Or, s'ils n'ont pu prouver par A + B l'impact des perturbateurs endocriniens (PE) sur la santé humaine, les travaux scientifiques les plus récents se rejoignent en général sur un point: ce principe de Paracelse doit être remis en question ou, en tout cas, complété.
Depuis 2009, la Société américaine d'Endocrinologie le complète par un autre principe qu'on pourrait résumer par "c'est la fenêtre qui fait le poison".
En d'autres termes, ce n'est plus seulement la dose qui est déterminante, c'est aussi la période pendant laquelle a lieu l’exposition au polluant.
On se rend compte, par exemple, que la survenue de certaines pathologies est d'autant plus probable que l'exposition s'est déroulée à des périodes de vulnérabilité particulière, telles que la vie intra-utérine, la période d'allaitement, la puberté ou encore la vieillesse, rajoute le Conseil Supérieur (belge) de la Santé.
Fait plus surprenant: l'effet de certains PE peut être plus marqué à faibles doses qu'à des doses élevées.
Alors que la plupart des polluants de l'environnement présentent un profil de toxicité linéaire, certains PE présentent en effet une relation dose/réponse dite "en forme de U": cela signifie qu'ils ont des effets marqués à des doses faibles et élevées, alors qu'ils n'ont que peu d'effet à une dose moyenne, dite "intermédiaire".
En effet, à faibles concentrations, les effets néfastes observés sur les organismes sont engendrés par les interactions des molécules avec le système endocrinien tandis qu’à plus fortes concentrations, les effets néfastes observés sont liés à la toxicité des molécules.
D'autres PE présentent, eux, une courbe dite "en cloche": ils développent des effets important à une dose moyenne alors qu'ils n'ont que peu d'effets à une concentration faible et élevée, mais cette réponse n’est observée que pour certains effets. Dans tous ces cas, les chercheurs parlent de "courbes dose-réponse non monotones".
En Belgique, le Conseil Supérieur de la Santé constate qu'il n'existe pas (encore) de consensus scientifique sur cette question.
Mais il ajoute aussitôt qu'il y a "suffisamment d'éléments de preuve pour considérer que ces conclusions sont pertinentes pour l'évaluation des risques et la gestion des PE".
Il en conclut que les fameux "seuils de sécurité", en deçà desquels il n'est pas risqué de s'exposer à certains polluants, ne sont plus pertinents.
Ajoutons à cela que les experts sont de plus en plus nombreux à estimer qu'il est urgent de multiplier les recherches sur les effets cocktails, qu'il s'agisse d'ailleurs de PE ou non.
En effet, les produits chimiques sont présents simultanément dans l’environnement et les organismes sont donc exposés à un grand nombre de molécules ayant des impacts et des mécanismes d’action différents sur la santé.
Dès lors, ces molécules pourraient engendrer des effets cumulatifs, synergiques ou antagonistes sur la santé humaine.
L’étude des impacts de cette "co-exposition" (exposition simultanée) à plusieurs produits reflète nettement plus fidèlement la réalité que l’étude des effets engendrés suite à l'exposition à un seul produit.