Effets toxiques: cinquante ans de suspicions croissantes
Des coquillages à l'homme, en passant par les alligators, les scientifiques n'ont découvert que très progressivement les propriétés de perturbation endocrinienne qu’ont certaines molécules. Les produits industriels n'ont d'ailleurs pas été les seuls mis en cause par les travaux scientifiques.
Comme pour beaucoup de polluants susceptibles d'avoir un effet sur la santé, la prise de conscience du danger qu’engendrent les perturbateurs endocriniens ne s'est pas faite en un jour.
Les premières alarmes remontent aux années soixante.
En 1962, la biologiste américaine Rachel Carson publie un livre célèbre ("Le printemps silencieux") où elle s'inquiète des effets des pesticides sur la santé.
Plus précisément, elle constate que l'accumulation à long terme des résidus de pesticides dans les glandes surrénales, les testicules et la thyroïde constitue une menace comparable à un "volcan assoupi".
Ce coup de tonnerre est suivi de nombreuses études établissant un lien entre des troubles de la reproduction dans la faune sauvage et l’exposition à certaines molécules.
Ainsi, à partir du début des années septante, on constate le développement d’organes sexuels mâles chez les femelles (imposex) de diverses espèces de mollusques gastéropodes marins (bigorneaux, bulots,…) exposées à un produit utilisé pour la protection des coques des bateaux: le tributyl-étain.
Un peu plus tard, des chercheurs américains constatent une réduction de la taille du pénis ainsi que des phénomènes d'hermaphrodisme (un individu est porteur des deux sexes) dans certaines populations d’alligators en Floride.
Cette fois, ce sont les rejets agricoles qui sont soupçonnés.
Ensuite, au fil des recherches, les scientifiques dénoncent l'effet de pesticides sur les oiseaux (aigles, mouettes), notamment un amincissement de la paroi des coquilles d’œufs, et, enfin, sur les mammifères.
Par exemple, les phoques femelles de la mer Baltique montrent une occlusion tout à fait anormale de leur utérus sous l'effet de pesticides à base de chlore.
Les ours polaires, eux, semblent gagnés à leur tour par de curieuses formes d'hermaphrodisme.
Le terme "perturbateur endocrinien" ne survient toutefois qu'en 1991, lorsque des chercheurs danois expliquent que des facteurs environnementaux - et non génétiques – peuvent être à l’origine de la diminution de la concentration des spermatozoïdes chez l'homme observée au cours des cinquante dernières années.
Pourtant, paradoxalement, c'est une hormone synthétique à usage médical - le diéthylstilbestrol (DES) - qui, par ses effets insoupçonnés sur les fœtus, a le plus contribué à la connaissance des mécanismes d’action des PE.
Dans le courant des années septante, on s'est en effet aperçu que cette hormone de synthèse, utilisée pour éviter les avortements spontanés chez la femme, entraînait des anomalies dans la formation du vagin et de l'utérus de la petite fille exposée durant la grossesse de sa mère, mais aussi des formes inhabituelles de cancer de l'utérus au stade de la puberté.
Chez le garçon, il s'agissait d'anomalies de l'appareil urogénital.
En réaction, le DES a été retiré du marché belge.
Le début d'une longue série de mesures de surveillance des perturbateurs endocriniens, voire d'interdictions pures et simples.